Satires

de

Perse

Edditions Garnier 1861

PROLOGUE

Jamais je ne me suis abreuvé à la source qu'un méchant cheval a fait jaillir; jamais, qu'il m'en souvienne, je ne me suis endormi sur le mont à double cime, pour me trouver tout à coup poète, comme me voilà; et quant aux habitantes de l'Héticon et à la pâle Pirêne, je laisse leurs faveurs à ceux dont le lierre embrasse en serpentant les images. Moi, je sors du village; pourtant j'apporte aussi mon oeuvre dans le sanctuaire de la poésie. La faim délie la langue au perroquet et lui fait dire : bonjour: elle apprend à la pie à essayer nos paroles; on a vu des corbeaux qu'elle avait amenés à dire un rauque : je vous salue. C'est un grand maître que la faim, un maître qui fait trouver la voix qu'on n'avait pas reçue de la nature, et qui donne de l'esprit aux bêtes. Faites seulement briller l'espérance trompeuse d'un écu, et des poètes criards, tels que des pies et des corbeaux, vont chanter; et vous croirez entendre les sons de l'Hippocrène.

SATIRE PREMIERE.

0 vains soucis des hommes! 0 quel vide dans les choses de ce monde !
— Cela aura-t-il des lecteurs?
— Est-ce à moi que vous parlez?
— Pas un seul, je vous jure.
— Pas un?
— Un ou deux peut-être; succès misérable, pitoyable.
— Pourquoi? parce que Polydamas et les Troyennes m'auront préféré Labéon? beau malheur ! Si cette ville insensée rabaisse quelque chose, il ne faut pas l'en croire; on réforme son jugement, en le pesant dans une autre balance, et l'on ne va pas se chercher hors de soi-même. Car, dans Rome, qui n'est pas? — Osez donc achever.
— J'ose tout, quand je vois nos petitesses et nos déplorables travers; oui, quand je vois que nous en sommes encore aux niaiseries de l'enfance, que nous avons besoin qu'où nous corrige, alors... certes alors... vous me permettrez...
— Non, non. .
— J'ai tort peut-être; mais j'aime à rire, et je n'y tiens plus.
- Nous nous enfermons pour écrire, l'un de la prose, l'antre des vers...
— Toujours du sublime, et le vent des plus larges poumons s'épuise à déclamer ces belles choses : car c'est pour le peuple que vous écrivez; et le jour viendra enfin où, bien peigné, bien paré d'une toge toute blanche et des bagues de l'anniversaire, vous prendrez place au siège qui domine l'assemblée, et, après avoir adouci votre larynx par le gargarisme à la mode, vous ferez votre lecture, avec un petit oeil tendre et mourant de plaisir. De là des scènes indécentes : nos grands niais de Romains s'agitent et palpitent la voix émue, quand ces vers libidineux pénètrent jusqu'au siège du plaisir, et viennent, par des sons entrecoupés, chatouiller leurs sens. Vieil imbécile ! quoi, vous vous faites le pourvoyeur d'un auditoire !,et de quel auditoire ! votre vanité même en rougit, et vous-même criez holà. Mais alors à quoi bon s'instruire? le savoir est comme le levain qui fermente, comme le figuicr sauvage; quand une fois il a pris racine au dedans, il faut qu'il perce au dehors.
— Voilà pourquoi l'on sèche et l'on veille! Insensés ! votre savoir est-il donc si peu de chose, si les autres ne savent que vous savez?
— Mais enfin il est beau d'être montré au doigt, quand on passe, et d'entendre dire : c'est lui. N'est-ce rien, selon vous, de voir ses vers dictés à cent jeunes frisés dans une classe?
— Et puis les enfants de Romulus, quand ils ont le ventre plein, se prennent à demander, en vidant les flacons, s'ils n'entendront pas quelqu'une de ces poésies charmantes. Un homme se lève, un homme portant le manteau violet à la grecque; et, après avoir balbutié quelque sotte excuse d'une voix nasillarde, il déclame ou la Phyllis ou l'Hypsipyle, ou telle autre larmoyante héroïde, et mange avec mignardise la moitié des mots. Les connaisseurs d'applaudir. Et la cendre du poète ne se réjouirait pas d'un pareil hommage ! et la pierre du tombeau ne deviendrait pas pour lui plus légère! Les convives s'extasient : quel bonheur pour ses mânes ! Sur sa tombe et de sa cendre fortunée il va naître des fleurs. .— Vous vous moquez, dira-t-on, et votre esprit railleur se donne carrière. Quel est l'homme qui ne serait flatté d'obtenir les suffrages du public, et de savoir que ses vers braveront dans le cèdre l'encens et les sardines de l'épicier?
— O vous, qui que vous soyez, vous dont j'ai fait mon interlocuteur, s'il m'arrive, quand j'écris, quelque trait heureux par hasard (ce phénix est bien rare), mais enfin s'il m'arrive quelque trait heureux, je ne crains pas alors la louange; car je n'ai pas un coeur de pierre. Mais que vos exclamations, bien, très bien, à merveille, soient la mesure et la règle du goût, c'est ce dont je ne conviendrai jamais : car, enfin, voyez ce qu'elles signifient; à quoi ne les applique-t-on pas? ne sont-elles pas prodiguées à l'Iliade d'Aldus, fumante d'ellébore, à toutes les petites élégies que dictent nos grands quand ils digèrent, en un mot à tout ce qui s'écrit sur un lit de citronnier? Vous avez une table où Ton sert un ventre de laie tout bouillant; vous avez toujours quelque vieux manteau à donner aux malheureux qui se morfondent à votre suite ; et puis vous dites : « J'aime la vérité; dites-moi la vérité sur mes vers. » Et le peuvent-ils? Voulez-vous que je vous la dise, moi? Eh bien, vous êtes un sot de faire des vers, avec cette lourde panse, ou plutôt cette auge qui s'étend d'un pied et demi en avant. Heureux Janus! jamais, derrière toi, de main qui imite le mouvement des oreilles d'âne, ou le col niais de la cigogne; jamais de langue qui s'allonge, comme celle du chien haletant sous le soleil de l'Apulie. Mais vous, nobles patriciens, qui n'avez pas d'yeux derrière la tête, craignez les grimaces perfides.
— Qu'en dit le peuple?
— Et que peut-il en dire, si ce n'est qu'on n'avait jamais fait des vers aussi coulants, aussi faciles? l'ongle le plus malin ne saurait y trouver le joint : c'est que cet homme-là vous aligne des vers tirés au cordeau. D'autres feraient la satire des moeurs, du luxe et des festins de rois : notre poëte a le privilège, lui, de trouver des choses sublimes. Nous voyons des écoliers venir faire parler les héros, des écoliers qui versifiaient hier en grec, et qui ne savent pas même composer la description d'un bois sacré, ou un éloge de la campagne; qui entassent dans leur lieu commun et les corbcilles, et le foyer, et les cochons, et les meules qui fument aux fêtes de Palès; sans oublier Rémus, ni vous, Cincinnatusl vous qui traciez un pénible sillon, quand votre femme accourut vous passer la robe dictatoriale devant les boeufs, et quand le licteur enleva votre charrue pour la rapporter lui-même à la maison... Courage, voilà de la poésie!
L'on trouve aujourd'hui des gens que charme la bouffissure d'Accius le bachique, ou le style d'un Pacuvius et de sa barbare Antiope dont le lamentable coeur n'a pour appui que la douleur. Voilà les modèles que proposent à leurs enfants des pères imbéciles. Faut-il demander, après cela, d'où vient ce fatras de locutions bizarres qui inondent la langue, d'où viennent ces turpitudes qui ravissent sur les bancs du théâtre quelque fat à la mode?
Vous devriez mourir de honte ; vous avez à sauver une tête blanchie par les ans, et vous ne sauriez le faire sans songer à ce fade éloge : que de grâce ! Vous êtes un voleur, dit-on à Pédius : Pédius répond par une antithèse symétrisée où il balance la question. Et l'on admire son habileté à tourner la figure, et l'on trouve cela beau. Vous trouvez cela beau ! Romain, tu n'es plus homme. Est-ce en chantant qu'un naufragé touchera mon coeur, et me fera tirer ma bourse? Eh bien ! vous chantez, vous qui devez m'attendrir par le tableau de votre naufrage! Soyez vrai, et n'étudiez pas toute une nuit vos larmes, si vous voulez que vos accents puissent me fendre le coeur. — Mais la versification a gagné ; elle a pris une élégance et des tours qu'elle ne connaissait pas.
— C'est un vers bien trouvé en effet que : Atys du Bérécynthe; et que : Le dauphin sillonnait le dos bleu de Nérée; ou que nous ôtons une côte à l'Apennin immense.
.— Mais ce début : Je chante les combats, n'est-il pas suranné et d'une écorce grossière?
— Les vers de l'Enéide! c'est le liège antique dont le temps a mûri les rameaux. Voulez-vous des vers délicats, des vers où le lecteur se pâme?
Les filles du Mimas ont embouché les cors, et le superbe veau frémit de leurs accords. A lui couper le cou la Ménade s'apprête; Elle attelle ses lynx ; à cette horrible fête
Elle appelle Évion par ses cris redoublés,
Et de ses cris au loin les échos sont troublés.
Écrirait-on de la sorte, si nous avions encore un peu du sang de nos pères? Cela est mou et fade; cela expire sur les lèvres. Atys et la Ménade ! ce n'est rien que de l'eau claire; et pour en faire autant, il ne faut ni briser le pupitre, ni se manger les doigts.
— Mais, enfin, quelle nécessité d'écorcher par des vérités mordantes les oreilles délicates? Prenez-y garde ; vous serez mal reçu à la porte des grands; ceci est d'un chien grondant qui veut mordre.
— Oh! s'il ne tient qu'à moi, tout sera blanc comme la neige. J'y donne les mains; continuez : tout, oui, tout ce que vous faites sera parfaitement bien fait, Vous êtes content? je défends, dites-vous, quo l'on fasse ici des ordures? très bien; faites-y poindre deux serpents avec cette inscription :
ICI, LIEU SACRÉ : ENFANTS, ALLEZ PISSER PLUS LOIN ; et je me retire . Lucile a déchiré la ville entière; il ne vous épargne pas, Lupus et Mulius! Il les mord à s'y briser la mâchoire, Horace, avec son air caressant, ne passe pas un défaut à ses amis; il pénétre, et se joue autour du coeur, et on rit avec lui : il a l'art de se moquer de tout le monde. Et moi, je ne pourrai dire un mot, le dire en secret, l'enfouir ! — Non, d'aucune manière.
— Rien ne m'en empêchera : je l'enfouirai dans ces vers. Oui, mon petit livre, oui, je les ai vues, le roi Midas a des oreilles d'âne. Ce plaisir de penser tout bas, de m'égayer un peu, ce n'est rien ; je ne le donnerais pas pour une Iliade entière. Vous donc qui ressentez les transports de l'audacieux Cratinus, et la colère d'Eupolis, et les fureurs de l'autre illustre vieillard, lecteurs encore tout chauds du feu de leurs ouvrages, venez, vous retrouverez peut-être ici un peu de leur manière; venez, c'est pour vous quo j'écris; non pour la lourde bête qui trouve plaisant que les Grecs portent des sandales, qui a le talent de dire à un borgne qu'il est borgne, qui se croit un personnage parce qu'il a fait le sot dans ses fonctions de province, parce qu'étant édile à Arozzo, il a fait briser un demi setier qui n'avait pas la mesure; ni pour l'esprit malin qui sait rire d'un calcul sur un tableau ou des figures de géométrie tracées sur la poussière, et qui sera tout prêt à s'extasier, s'il voit une courtisane tirer effrontément un philosophe par la barbe. Un édit le matin à de pareilles gens ; et le soir,
Callirhoë.

SATIRE DEUXIÈME

Marquez ce jour, Macrin, avec la pierre favorable, ce jour dont la blancheur est pour vous le signe du retour de l'année : versez du vin à votre Génie, Vous ne marchandez point, vous, avec le, ciel, pour obtenir des dieux ce qu'on n'oserait confier aux hommes. Nos grands no vous ressemblent pas pour la plupart : ils taisent leur prière, et leur encens fume dans l'or. Qu'il en est peu, de ceux dont les chuchotements discrets bourdonnent dans le sanctuaire, qui puissent élever la voix et publier leurs voeux ! Sagesse, honneur, vertu, voilà ce qu'on demande tout haut et pour que le voisin entende. Voici la prière du coeur, celle qu'on murmure entre ses lèvres: « Oh ! si un convoi magnifique emmenait mon cher oncle ! Oh ! si, par la grâce d'Hercule, mon hoyau rencontrait un vase rempli d'argent! » Ou bien encore ? « Fasse le ciel que ce pupille, dont je serre de si près l'héritage, reçoive son congé ! Il souffre de tant d'ulcères ! la bile le suffoque et le ronge. Heureux Nérius ! déjà trois femmes ! » C'est pour sanctifier ces voeux que vous allez le matin vous plonger la tête deux fois, trois fois dans le Tibre, et purifier vos nuits dans le courant. Çà, répondez, je vous prie : c'est la moindre des choses, ce que je veux savoir, Selon vous, qu'est-ce que Jupiter? vaut-il qu'on le préféra à... — « A qui?—A Staius, par exemple? Cela vous embarrasse donc de savoir lequel des deux est un juge plus intègre, un protecteur plus sur pour l'enfance abandonnée? Eh bien, ce que vous osez porter à l'oreille de Jupiter, demandez-!e un peu à Staius, O grand, s'écriera-t-il, à bon Jupiter! Staius invoquera Jupiter, et Jupiter ne s'invoquerait pas lui-même !.Parce que les carreaux de son tonnerre brisent un chêne, au lieu de vous frapper vous et votre maison, pensez-vous qu'il pardonne? Parce que le sang des agneaux et la voix d'Ergonna n'ont point ordonné la consécration du lieu formidable et funeste où vous seriez tombé, s'ensuit-il que le dieu vous permette sottement de lui tirer la barbe? en est-il moins Jupiter? Ou bien apprenez-moi comment vous achetez, vous, la connivence des dieux! Est-ce avec un poumon et des intestins gras?
Voyez-vous cette grnnd'mère, ou cette tanto materncllte, qui craint le ciel, tirer un enfant du berceau, promener le doigt infâme sur le front, sur les petites lèvres humides, et purifier le nouveau-né avec la salîve lustrale? C'est que le préservatif est certain contre les mauvais regards. Cela fait, elle frappe légèrement des deux mains la frèle créature, et son humble prière l'envoie en possession des domaines de Licinius ou des palais de Crassus, " Que le roi et la reine le désirent pour gendre ! Que les belles se l'arrachent ! Qu'en tous lieux, sous ses pas, on voie naitre des roses !" Moi, ce n'est point la nourrice que je charge des voeux : fut-elIe tout en blanc pour t'en adresser de pareils, ne l'écoute point, Jupiter!
Vous demandez la force, vous demandez-un corps qui ne trahisse point la vieillesse; passe pour ces voeux. Mais vos plats énormes de grosses viandes farcies ne permettent pas aux dieux de vous exaucer, et Jupiter a les mains liées.
Tu veux augmenter ton avoir, et tu immoles un boeuf; et tu invoques Mercure, la main dans le sang: Mercure, fais prospérer ma maison ! Donne-moi du bétail; donne des petits aux mères. Et le peut-il, misérable ! Quand la flamme dévore la graisse de toutes tes génisses? Rien ne l'arrête. C'est à force d'égorger et d'offrir ce qu'il a de plus beau, qu'il prétend vaincre le dieu. « Déjà, dit-il, mon domaine va s'étendre, le troupeau.va grossir; les voilà qui arrivent, les voilà !» Jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un écu tout honteux, qui gémit et n'en peut mais, au fond de sa bourse épuisée.
Si je vous faisais présent, à vous, de cratères d'argent avec de belles ciselures en or massif, la joie vous mettrait dans une douce moiteur, et l'eau tomberait à grosses gouttes de votre sein palpitant, C'est de là que vous est venue l'idée de dorer le visage des dieux avec l'or du triomphe, Ainsi ceux des frères de bronze qui vous envoient des songes bien clairs seront traités avec distinction; ceux-là auront une barbe d'or.
L'or a banni les vases de Numa et le cuivre de Saturne; l'or remplace l'argile des Toscans et l'urne modeste des vestales. Ames enfoncées dans la boue, que vous êtes loin des célestes pensées ! Pourquoi porter ainsi dans le sanctuaire la dépravation de vos moeurs, et juger de ce qui plaît aux dieux d'après notre criminelle délicatesse? C'est elle qui fait pour son usage dissoudre la lavande dans le jus corrompu de l'olive, et bouillir dans le sang du murex les laines de la Calabre ; c'est elle qui veut que l'on détache la perle du coquillage, et que l'on tire d'une terre brute les veines du métal pour les réunir en une masse enflammée. Ces inventions sont coupables, sans doute; le vice en est l'auteur; mais le vice en jouit. Les dieux, au contraire, que peuvent-ils faire de l'or? Pontifes, je vous le demande : ce que fait Vénus de la poupée que lui consacrent nos jeunes filles.
Que n'offrons.nous aux Immortels ce que jamais ne pourra leur offrir dans ses bassins magnifiques l'ignoble progéniture de l'illustre Messala? une àme sagement réglée par les lois du ciel et de la terre, un coeur pur jusque dans ses derniers replis, un caractère trempé dans les généreux principes de l'honneur? Puissé-je apporter au temple cette offrande, et l'orge suffira pour faire agréer ma prière !

SATIRE TROISIEME.

« Ce sera donc toujours de même? Déjà un soleil éclatant entre dans votre chambre, et allonge de ses rayons les fentes étroites des volets. Voilà un somme à cuver le plus indomptable falerne.
L'ombre du cadran va toucher la cinquième ligne; et c'est là que vous en êtes ! Il y a longtemps que la Canicule en fureur dessèche et brùle tes moissons; et déjà tous les troupeaux ont cherché le frais sous les ormes touffus. » Ainsi parle un gouverneur, « Est-il vrai? répond l'élève; se peut-il? Holà! quoiqu'un bien vite. Il ne viendra personne? » Sa bile alors s'échauffe; il éclate, et l'on croirait entendre braire tous les roussins de l'Arcadie. Enfin le voilà avec son livre» avec le parchemin bicolore dont le poil est tombé, avec les cahiers et le roseau noueux entre les mains. Nouvelles plaintes alors : tantôt c'est l'encre trop épaisse qui ne veut point quitter la plume, ou qui, trop délayée, ne marque plus sur le papier; tantôt c'est la plume qui laisse deux traces au lieu d'une, « Que vous êtes à plaindre, et que, chaque jour, vous devenez plus à plaindre encore! Ou en sommes-nous? Eh ! que ne demandez-vous que, comme au tendre tourtereau ou à l'enfant gâté des rois, on vous mâche les morceaux? Que ne battez-vous votre nourrice, et ne refusez-vous de répéter les refrains de ses chansons?
« Puis-je travailler avec cette plume? Qui trompez-vous? à qui contez-vous ces sornettes? Le jeu vous regarde, insensé ! La vie s'écoule, et le mépris vous attend. Quand l'argile est mal cuite et toute verte encore, le vase trahit le défaut sous le doigt qui l'interroge ; vous êtes cette argile humide et molle encore; il n'y a pas un moment à perdre ; il faut que la roue vous façonne et tourne sans s'arrêter. Mais vous avez un héritage qui rapporte quelques grains; vous avez conservé pure et sans tache la salière dz famille, et la marmite fidèle à tes pénates : avec cela on n'a rien à craindre.
«Est-ce assez? Et faut-il que votre coeur s'enfle et crève d'orgueil, parce que vous comptez mille aïeux sur l'arbre généalogique de Toscane, ou parce que vous saluez en robe de pourpre un censeur qui est votre parent? Au peuple tout ce clinquant ! Moi, je vous connais, et à fond. N'êtes-vous pas honteux de vivre comme un Natta? Mais lui, il est abruti par le vice, il ne sent rien sous la lèpre épaisse qui le couvre : Natta n'est pas coupable; il ignore ce qu'il perd, et, du fond de l'abtme où il est plongé, il ne peut plus remonter à la surface de l'onde.
« Les tyrans, dans leur fureur, s'épuisent en inventions cruelles pour assouvir la passion qui fermente dans leur sein gonflé de noirs poisons, Puissant maître des dieux, pour punir les tyrans eux-mêmes, montre leur la vertu, et qu'ils sèchent de regret de l'avoir abandonnée ! Les gémissements affreux du taureau d'airain, le glaive qui, du haut des lambris dorés, pendait sur un courtisan revêtu de pourpre, étaient-ils plus terribles que ce cri de la conscience : je cours à ma perte, j'y cours ! Et que les angoisses du coupable tremblant en lui-même de ce qu'il cache à la compagne qui dort à ses cotés? « Je me souviens que, dans mon enfance, j'humectais mes yeux d'huile, quand je ne voulais pas apprendre, pour le débiter, un beau discours de Caton prêt à se donner là mort, discours qui eût fait l'admiration d'un maître sans cervelle, et qu'un père en émoi invitait ses amis à venir entendre. J'avais raison, car le bonheur souverain pour moi était alors de savoir combien gagne l'heureux six, combien perd l'as funeste; de ne pas manquer le col étroit de la bouteille, et de fouetter le buis plus adroitement qu'aucun autre. Mais vous, vous n'en êtes plus à savoir distinguer ce qui est bien, à recevoir les leçons de ce sage Portique, où est peinte la défaite du Mède, où veillent, pour étudier, ces jeunes tondus nourris de légumes et d'une copieuse bouillie; vous, la lettre emblématique du philosophe de Samos vous a montré par le jambage droit le chemin qu'il faut suivre : et vous ronflez encore! votre tête chancelante ne peut plus se soutenir; vos bâïllements répétés et vos mâchoires qui se décrochent trahissent vos excès de la veille.
« Vous avez un but, et vous voulez l'atteindre; ou bien marchez-vous au hasard, poursuivant çà et là les corbeaux à coups de pierres et de mottes de terre, sans prendre garde où vous allez, vivant au jour le jour? « Le malade, quand l'hydropisie a gonflé tout son corps,
demande de l'ellébore : il est trop tard; il promettrait en vain des monceaux d'or à Cratérus. Prévenez donc le mal; instruisez-vous, mortels infortunés; étudiez les lois de la nature ; sachez ce que nous sommes, et pourquoi nous sommes appelés à la vie; quel est l'ordre établi ; d'où l'on vient, où l'on va, et combien est délicat le passage; où doit s'arrêter la recherche de l'argent; ce qu'on peut honnêtement souhaiter; à quoi est bonne la monnaie; ce que vous devez de sacrifices à la patrie et à vos proches; ce que Dieu a voulu que vous fussiez, et quel rôle il vous confie dans la société,
« Voilà ce qu'il faut apprendre, au lieu d'envier les barriques qui parfument le cellier du patron de la grasse Ombrie, le poivre et les jambons qui attestent la reconnaissance du Marse, et ces tonneaux d'anchois qui ne s'épuisent jamais. « Mais j'entends un vieux bouc de centurion me répondre ;
J'ai tout autant de savoir qu'il m'en faut, à moi; j'ai... j'ai bien affaire de devenir un Arcésilas ou quelqu'un de ces Solons moroses qu'on voit la.tète penchée, les yeux attachés à la terre, ruminer en grommelant leur frénétique silence, et peser des mots sur leur lippe allongée; qui s'en vont méditant les rêves de quelque vieux cerveau malade : que de rien ne vient rien, que rien ne se peut réduire à rien beau sujet pour maigrir et pour ne pas manger ! Là-dessus le peuple d'applaudir, et la grosse soldatesque de faire de longs éclats de rire, en fronçant les narines.
« Voyez un peu ce que j'ai ; je ne sais d'où viennent ces battements de coeur, et pourquoi mon haleine sort à flots précipités et infects; voyez donc, je vous prie. » Le médecin ordonne le repos; mais à peine au bout de trois jours le sang a-il repris son cours régulier, le malade veut aller au bain, et fait demander dans quelque riche maison du bon vin de Surrente ; une petite cruche suffira ? Mais, mon cher, vous êtes pâle. Ce n'est rien. ? Prenez garde à ce rien, vous êtes pâle, et vous enflez sans vous en apercevoir. Eh ! vous-même avez le teint bien plus mauvais. Voulez-vous faire avec moi le luteur? J'en avais un que j'ai mis en terre; gare à vous! Comme vous voudrez; je me tais. Notre malade alors se gorge de nourriture, et, malgré sa peau blafarde, malgré les vapeurs empoisonnées qui s'échappent de son gosier avec effort, il se met dans la baignoire. Mais, tandis qu'il boit, le frisson le surprend : la coupe de vin chaud s'échappe de sa main; ses dents se découvrent et s'cntre-choquent; les morceaux tombent tout entiers de ses lèvres défaillantes; et de là les flambeaux, la trompette funèbre; enfin notre jeune homme, posé sur un lit de parade et tout enduit de parfums, est étendu à sa porte, les pieds devant, Cependant les Romains qu'il a affranchis la veille viennent, leurs bonnets sur la tête, enlever le corps.
« Eh! prophète de malheur, tâtez mon pouls, mettez la main sur ma poitrine : ai-je la chaleur de la fièvre? touchez les extrémités de mes pieds et de mes mains : sont-elles froides? Mais si vos yeux ont vu de l'or, mais si la jeune fille du voisin vous adresse un gracieux sourire, votre coeur est-il en repos, dites-moi? On vous sert sur un plat glacé des légumes tout crus avec un pain de farine d'orge mal passée : pourquoi ne pas manger? C'est quo votre bouche délicate recèle un ulcère qu'il ne sied pas d'écorcher avec Ies cardons du plébéien. Tantôt vous avez le frisson, quand la crainte a hérissé le poil sur votre corps transi ; tantôt vous brûlez, quand votre sang s'allume et que vos yeux pétillent du feu de la colère. Alors vous dites et vous faites des choses qui paraîtraient insensés à l'insensé Oreste. »

SATIRE QUATRIÈME

Ah ! vous gouvernez l'État ! (c'est le maître qui parle, le maître vénérable qu'emporta la cruelle cigue) qu'avez-vous pour cela? Répondez, pupille du grand Périclès. L'intelligence et l'expérience des affaires vous sont apparemment venues avant la barbe; vous savez et parler et vous taire, Ainsi, quand la populace en fureur fermente et se soulève, vous osez affronter la troupe mutinée, et, d'un geste majestueux, lui imposer silence. Fort bien ; qu'allez vous dire maintenant? Romains, ceci ne me parait pas juste; cela est mal; voici qui serait mieux. Vous savez, en effet, tenir d'une main sûre la balance de la justice; vous discernez le point où le vrai va se confondre avec le faux, alors méme que la règle n'est plus un guide fidèle, et c'est à vous qu'il appartient de marquer le crime de la lettre fatale ! Soyons vrais; vous n'avez que l'éclat de quelques dehors. Pourquoi donc vous hâter d'étaler votre plumage aux yeux d'un peuple adulateur? et que ne vous purgez-vous plutôt à grands flots d'ellébore? Quel est le souverain bien, selon vous? c'est de faire bonne chère tous les jours, et de chauffer tous les jours au soleil ses membres parfumés d'essences. A merveille ! c'est répondre ce que répondrait cette vieille. Allez donc, après cela, vous vanter d'être fils de Dinomaque, et dire : Moi, j'ai le teint blanc! Soit; mais pour de la sagesse, tu n'en as pas plus que la Baucis en haillons qui se chamaille avec un vaurien d'esclave. Quoi ! personne ne veut descendre en soi-même ! Personnel et nous n'avons des yeux que pour voir la besace sur le dos de celui qui nous précède ! Vous demandez : « Connaissez-vous les domaines de Vectidius? Duquel? Du richard qui possède près de Cures plus de terres labourables que n'en peut embrasser un milan dans son vol? Parlez-vous de celui-là? De lui-même, de cet avare haï des dieux et mal avec son Génie, qui, les jours de fête, lorsqu'il a suspendu la charrue à l'autel du carrefour, rompt à regret le cachet d'une petite cruche jadis pleine, et dit en gémissant ; Vive la joie ! Qui mord dans un oignon au gros sel, encore dans son enveloppp, et qui, tandis que ses esclaves s'extasient devant un chaudron de bouillie, savoure la lie affadie et moisie d'un vinaigre à sa fin. » Fort bien; mais vous-même, quand vous venez chauffer au soleil vos membres tout couverts d'huile et de parfums, entendez-vous cet homme qui vous a poussé du coude révéler sans pitié vos turpitudes, cette manie d'épiler et le pubis et l'antre voisin, pour étaler aux chalands vos dégoûtants appas? Pourquoi, tandis que vous cultivez sur les joues cette toison parfumée d'essences, pourquoi, ailleurs, mettre à nu ce qu'avait voilé la nature? Cinq ouvriers ont beau défricher la forêt et attaquer avec la pince tes cuisses humectées, la fougère opiniâtre brave l'effort de la charrue.
Ainsi va le monde : on blesse, et l'on est blessé à son tour. Oui, nous le savons; vous avez dans le flanc une secrète plaie; mais tout est caché par le large baudrier d'or. A la bonne heure, donnez-nous le change, et trompez aussi vos nerfs, si vous pouvez. « Mais, quand mon mérite est vanté par tout ce qui m'entoure, comment ne pas y croire? » Non, vous ne valez rien; et puisque la vue d'un écu vous donne la fièvre, puisque vous vous permettez sur votre corps tontes les extravagances qui vous passent par la tète, puisque vous vous escrimez bravement contre les comptoirs du Forum, vous ne pouvez vous enivrer de l'encens du vulgaire. N'acceptez que ce qui vous est dû ; que la canaille reprenne ses hommages: descendez en vous-même, et voyez combien votre âme est peu meublée.

SATIRE CINQUIÈME.

Soit qu'ils fassent beugler la tragédie en pleurs, soit qu'ils entonnent les combats du Parthe retirant le fer de son aine, nos poêtes, c'est l'usage, demandent, pour pousser le vers, cent bouches, cent langues et cent voix. C'est beaucoup; quelle indigeste pàtée de vers avez-vous à vomir, pour qu'il faille les efforts de cent gorges à la fois? Laissez ramasser les brouillards de l'Hélicon aux faiseurs de sublime, qui réchauffent la marmite ou de Thyeste ou de Progné, pour apprêter tous les soirs le repas d'un fou comme Glycon. Vous n'êtes point, vous, le soufflet haletant où se pressent les vents, tandis que le fer chauffe à la forge; vous n'êtes point la corneille enrouée qui promène gravement sa sottise et ses croassements sourds; vous ne gonflez pas stupidement vos joues, pour qu'il en sorte une bouffée d'air: vous parlez le langage de la toge; vous avez le secret d'une alliance hardie et d'une élégance harmonieuse et simple; vous êtes savant dans l'art malin qui fait pàlîr le vice et perce la sottise des traits d'un innocent badinage: tenez-vous-en là; laissez à Mycènes son horrible festin de pieds et de tètes coupés, et vivez comme un bourgeois de Rome. Ah ! Ce n'est point mon but d'enfler mes pages de riens pompeux, pour donner, comme on dit, du poids à la fumée.
Nous nous entretenons en secret ensemble, et je veux aujourd'hui suivre le conseil de ma muse pour vous ouvrir mon âme tout entière. Oui, mon ami, oui, mon cher Cornutus, je veux que vous puissiez voir combien grande est la place que vous occupez en moi ! Vous qui savez reconnaître ce qui sonne le creux et dévoiler l'artifice d'une langue dorée, faites sur moi l'épreuve. Si j'ose demander le secours de cent voix, c'est pour exprimer avec vérité combien je vous porte avant dans mon coeur, c'est pour révéler par la parole tout ce que recèle mon sein de sentiments ineffables !
Je venais de quitter la pourpre qui protège l'enfance, et j'avais suspendu la bulle au cippe qui représente les dieux du foyer ! D'aimables compagnons et le bouclier blanc encourageaient ma timidité à promener hardiment mes regards dans tout le quartier de Suburre: j'étais à l'entrée des deux chemins de la vie, alors que l'âme incertaine se demande en tremblant lequel elle doit suivre : je vous pris pour guide, et ma tendre jeunesse fut reçue par vous dans le sein de Socrate. La règle habilement appliquée redresse alors mes travers; l'homme passionné est amené à la raison, et s'efforce de se vaincre; il prend insensiblement sous vos mains les formes de l'art. C'était avec vous, je m'en souviens, que je passais les journées entières, et c'était avec vous encore que je donnais au dîner le temps où commence la nuit. Nous nous mettions ensemble au travail; nous le quittions ensemble, et un modeste repas nous délassait ainsi de nos sérieuses études. Le ciel, n'en doutez pas, le ciel a voulu enchaîner par des rapports constants ma vie avec la vôtre, et nous donner la môme constellation pour guide. Ou la Parque propice à la philosophie a placé nos ans sous le signe toujours égal de la Balance; ou l'Heure qui voit naître les amitiés fidèles a réparti sur les Gémeaux notre commune destinée, et Jupiter qui nous aîme nous fait triompher ensemble de l'inclémence de Saturne : un astre, j'en suis sur, quel astre, je l'ignore, nous réunit tous deux sous la même influence.
Mille variétés dans l'homme et dans les divers emplois de la vie : chacun a son goût, et nos voeux ne se ressemblent pas. L'un court échanger, aux lieux où le soleil se lève, les produits de l'Italie contré les grains ridés du poivre et le pâle cumin; l'autre préfère s'engraisser à table et dans les bras du sommeil ; et un autre s'adonne au champ de Mars ; celui-ci se ruine au jeu ; celui-là sèche d'amour. Mais quand la goutte vient ronger les articulations et briser les rameaux de l'arbre desséché, ils regrettent alors ces jours passés dans la fange et les ténèbres; ils gémissent d'avoir oublié de vivre; hélas ! Il n'est plus temps. Pour vous, Cornutus, vous avez mis votre bonheur dans l'étude et les veilles; vous cultivez la jeunesse, et vous contiez à son oreille épurée le germe des dogmes de Cléanthe. Venez, jeunes et vieux, venez tous apprendre à ses leçons quel est le but de la vie, et faire vos provisions de route pour la triste vieillesse. Demain-j'étudierai. Demain comme aujourd'hui. Est-ce trop, que de demander un jour un seul? Mais quand ce jour sera venu, celui-ci sera passé : ainsi de jour en jour vos jeunes années s'écoulent, et vous êtes toujours en retard. Vous courez dans une ornière après vous-même; vous êtes la seconde roue du char qui roule près de la première, mais sans pouvoir jamais l'atteindre. La liberté est nécessaire; non cette liberté qui fait de Publius un citoyen de Vélie, et lui donne droit, pour sa marque, à un boisseau de blé moisi. Quelle erreur est la vôtre, si vous pensez qu'une pirouette fasse un homme libre ! Ainsi voilà Dama, un vaurien, un ivrogne, un gueux de palefrenier, qui ment pour une poignée d'avoine; que son maître lui fasse faire la pirouette, et le voilà en un moment le citoyen Marcus Dama.
Peste, quel citoyen! Marcus Dama est caution, et vous refusez de prêter votre argent! Marcus Dama est juge, et vous n'êtes pas tranquille ! Qui pourraiten douter? Marcus Dama l'a dit. Le contrat sera signé par Marcus Dama. Car voilà votre liberté, la voilà telle que le bonnet vous la donne. Mais, dites-vous, être libre, c'est être maître de vivre comme on veut: or, je suis maître de vivre comme je veux; ne suis-je pas aussi libre que Brutus? Mauvais raisonnement, répond mon stoïcien, dont l'oreille sévère ne laisse rien passer. Je vous accorde tout le reste; mais votre je suis, maître, votre comme je veux, je n'admets point cela. Quand la vindicte du préteur m'a renvoyé maître de moi, comment ne serais-je pas libre de faire tout ce qu'il me plaît; tout, excepté ce que défend la rubrique de Masurius? Je vais vous le dire; mais, tandis que j'essaye de vous retirer du coeur vos vieux préjugés, n'allez pas vous fâcher ni froncer le nez avec colère. Le préteur ne peut pas donner aux fous l'intelligence de tant de devoirs délicats, et livrer à leur fantaisie l'usage de cette
courte vie : l'on ferait plutôt jouer de la harpe à un lourdaud, à un goujat. La raison s'y oppose, et nous dit tout bas à l'oreille qu'il ne faut pas laisser les gens toucher à ce qu'ils gâteraient en y touchant. Toutes les lois positives et la loi naturelle sont d'accord sur ce point, que l'ignorance doit s'interdire les actes dont elle n'est point capable. Irez-vous administrer de l'ellébore si vous ne savez pas en mesurer la dose avec le trébuchet? Cela est contraire aux éléments de l'art. Qu'un villageois en grosses guêtres, et qui ne connaît pas une étoile, veuille conduire un vaisseau, Mélicerte indigné s'écriera que le monde est renversé. Vous donc, qui voulez jouer le rôle de la vie, avez-vous appris à vous tenir sur les brodequins? Savez-vous discerner le vrai d'avec ce qui n'en a que l'apparence? savez-vous distinguer au son le clinquant d'avec l'or sans alliage? Avez-vous marqué de craie ou de charbon cc qu'il faut faire et ce qu'il faut fuir? ôtes-vous modéré dans vos désirs, économe et frugal, bienveillant pour vos amis? savez-vous ouvrir et feimer à propos vos greniers? passeriez-vous sur un écu dans la boue sans le ramasser, et refuseriez-vous d'avaler, comme on dit, la salive de Mercure? Si vous en êtes là, si vous pouvez répondre de vous sur tous ces points, si vous avez la sagesse, vous êtes libre alors, vous avez pour vous et les préteurs et Jupiter.
Mais vous étiez, il n'y a qu'un moment, de la même pâte que nous, et, si vous n'avez pas dépouillé le vieil homme, s'il n'y a de blanchi que la figure, si le coeur gâté conserve la malice du renard, ce que j'ai dit, je le rétracte, et ne vous lâche point. La raison ne vous passe rien: remuer le doigt est une faute. Et pourtant ce n'est rien; mais c'est qu'il n'y a point de sacrifice qui puisse obtenir qu'il entre dans un sol quelques grains de sagesse. On ne mêle point les contraires; et, si d'ailleurs vous n'êtes qu'un lourdaud et un fossoyeur, vous n'exécuterez jamais trois pas seulement du léger Bathylle. Vous, libre, vous, soumis à tant de maîtres ! Car il y a bien d'autres maîtres que celui dont affranchit la baguette. Pars, esclave, et va porter mes brosses aux bains de Crispinus. Tu tardes, paresseux ! Cet ordre menaçant ne peut plus vous émouvoir, et il n'y a plus rien au dehors qui puisse intérieurement agiter la machine. Mais si au dedans, si dans le coeur malade il se forme de nouveaux maîtres, votre condition est-elle devenue moins dure que celle de l'esclave qui part pour le bain, dans la crainte des étrivières?
Vous êtes le matin étendu dans un lit oiseux : Lève-toi, dit l'Avarice; allons, lève-toi! Vous refusez; elle insiste: lève-toi ! Je ne saurais. Lève-toi ! Et pourquoi faire? Tu le demandes! pour aller chercher à Colchos les anchois, et le castoréum, et le chanvre, et l'ébène, et l'encens, et les vins émollients de Cos. Enlève le premier le poivre que l'on décharge de dessus les chameaux altérés, fais des affaires et des serments. Mais je serai entendu de Jupiter. Pauvre sot ! Il faut te réduire pour le reste de tes jours à creuser du doigt la salière, si tu prétends vivre avec Jupiter,
Mais le voilà à l'oeuvre; ses esclaves sont chargés du sac de cuir et de l'amphore de voyage; oh court à la mer, et il va fendre les flots de l'Adriatique, pourvu qu'il ne soit pas retenu par la douce voix de la Mollesse. Elle lui dit tout bas : Tu pars, insensé, tu pars ! Que vas-tu faire ! Te voilà tout en feu, et des flots de ciguë n'éteindraient pas cette ardeur martiale ! Toi, passer la mer! toi, prendre tes repas sur le banc des rameurs, appuyé contre un câble! toi, boire du vin clairet de Véios sentant et le goudron et le moisi du quartaut ! Et pourquoi?
pour que cet argent, que tu faisais valoir ici au modeste denier cinq, travaille et aille jusqu'à onze! Crois-moi, prends du bon temps; jouis de la vie; que serait la vie sans moi? tu ne seras bientôt plus qu'une ombre, un vain nom, de la cendre. La mort approche, songes-y ; le temps fuit, le moment où je parle n'est plus.
Eh bien ! Qu'allez-vous faire entre deux sirènes qui vous attirent chacune à leur hameçon? Auquel allez-vous mordre? Vous êtes condamné à les suivre l'une après l'autre, à passer tour à tour de l'un à l'autre esclavage, sans pouvoir seulement choisir. Et pour avoir une fois secoué le joug, pour avoir une fois refusé d'obéir, n'allez pas dire : J'ai brisé mes fers vos fers ne sont point brisés. Le chien qui lutte et se tourmente finit par rompre une maille et s'échapper; mais il traîne encore après lui dans sa fuite un long bout de sa chaîne. Dave, je veux finir mes tourments ( ainsi parle, en se mangeant les doigts, le Chérestrale de Ménandre). Quoi ! Toujours être l'opprobre d'une famille honnête ! Quoi| perdre dans une maison infâme mon patrimoine et mon nom! Aller, ivre et le flambeau éteint à la main, chanter à la porte de Chrysis et s'y morfondre ! Courage, mon jeune maître; reprenez votre raison ; immolez un agneau aux dieux libérateurs. Mais, Dave, crois-tu, si je la quitte, qu'elle en verse des larmes? Chansons ! Vous êtes un enfant, et vous recevrez encore de la pantoufle rouge. Vous avez beau trépigner et ronger les filets qui vous tiennent; malgré tout votre courroux et vos rodomontades, qu'elle vous rappelle, et vous allez dire : Eh bien, que faire? maintenant que c'est elle qui m'en prie, et qui me ramène elle-même, je n'irai pas? Non, vous n'iriez pas, si vous aviez rattrapé votre coeur de ses mains. Dave a raison; voilà l'homme libre, le voilà, et non celui qu'a frappé de sa baguette un licteur qui n'y entend rien.
Et ce flatteur de la multitude, que traîne à sa suite l'Ambition en robe de candidat, est-il maître de lui? Ne t'endors pas, lui dit-elle; prodigue au peuple les distributions, et qu'il se batte pour avoir de tes haricots. Un jour, ces jeux Floraux de notre édilitè, les vieillards en parleront en se chauffant au soleil ! Quel honneur ! Et vous, superstitieux, quand vient l'anniversaire d'Hérode, quand les lanternes ornées de violettes, et rangées aux fenêtres avec ordre, exhalent dans les airs un nuage épais de fumée, quand une queue de thon nage dans la sauce et dépasse les bords du plat rouge, quand le vin colore la blancheur des bouteilles, alors vous marmottez entre vos dents des prières, et le sabbat des circoncis vous donne la fièvre. Vous redoutez et les ombres des morts et les malheurs que présage un oeuf cassé; vous allez donc aux grands prêtres de Cybèle ou à la prêtresse borgne armée du sistre d'tsis; et ils vous font voir des déesses qui entrent dans des corps et les gonflent, si l'on n'a la précaution de manger, conformément à l'ordonnance, trois fois le matin, une tête d'ai. Faites entendre à nos vieux centurions ce langage : l'épais Vulfénius partira aussitôt d'un gros rire: Moi,.dira-t-il, je ne donnerais pas cent sous de cent Grecs.

SATIRE SIXIEME.

Le froid vous a déjà rapproché, Bassus, de votre foyer du Sabinum. Avez-vous ranimé sous l'archet mordant les cordes de votre luth endormi, ô chantre admirable de l'origine des choses, vous qui tirez de mâles accords de la lyre des Latins, et qui savez célébrer également les ris de la jeunesse et, sur un ton plus grave, les vertus du vieil âge? Pour moi, je me réchauffe sur la côte de ma Ligurie : la mer prend avec moi ses quartiers d'hiver dans ce golfe profond où elle s'enfonce, et sous la vaste enceinte de rochers qui lui sert de retraite.
Il faut voir, citoyens, de Luna le beau port :
ainsi parle le bon Ennius, quand il est sorti de son rêve et qu'il ne croit plus.être Homère-Ennuis, après avoir été paon, suivant la doctrine de Pythagore. Ici je n'ai point à m'inquiéter du vulgaire; je ne m'informe point si l'Auster menace de la contagion les troupeaux, ou si le champ du voisin est plus fertile que le mien : quand tous ceux qui sont nés au-dessous de moi viendraient à s'enrichir, je ne
voudrais pour cela ni sécher et vieillir de chagrin, ni retrancher quelque chose de mon ordinaire, ni flairer avec défiance le cachet d'une bouteille éventée. Libre à d'autres de vivre autrement. Horoscope, tu fais de deux jumcaux deux génies opposés : l'un, à l'anniversaire de sa naissance, arroso ses légumes secs avec de la saumure qu'il achète méticuleusement dans un pot, et saupoudre lui-même son ragoût d'une légère pincée de poivre ; il respecte son poivre comme sacré; l'autre expédie bravement à belles dents un patrimoine immense. Moi, je veux, oui, je veux jouir, mais non pousser la profusion jusqu'à servir à mes affranchis des turbots, ni la délicatesse jusqu'à distinguer dans les grives le fumet de la femelle. Il faut régler ce qu'on mange sur ce qu'on récolte: faites moudre, vous le pouvez; un coup de herse, et voilà une autre moisson en herbe.
Mais vous avez à rendre un bon offîce ; votre ami a fait naufrage, il s'est sauvé sans une obole sur les rochers de la Lucanie; son avoir et ses voeux inutiles, tout est au fond de la mer; et lui, il est étendu sur le rivage à côté des images des grands dieux qui devaient protéger sa poupe; la carcasse de son vaisseau fracassé va flottant avec les plongeons. Tranchez dans le vif alors pour secourir un infortuné, et ne souffrez pas qu'il aille mendier, portant le tableau de son désastre. Mais si je diminue l'héritage, l'héritier m'en voudra; il négligera le repas funèbre, jettera mes restes dans l'urne non parfumée; et, que le cinname soit passé, ou la cannelle altérée avec la gomme du cerisier, il ne s'en inquiétera guère. Pourquoi mangeais-tu ton bien de ton vivant? Et puis écoutez Bestius contre les arts de la Grèce : « Voilà, dit-il, où nous en sommes; depuis que nous est venue, avec le poivre et les dattes, cette philosophie efféminée, il n'y a pas jusqu'aux faucheurs qui ne gâtent leur bouillie par des assaisonnements. »
Que vous font ces propos dans la tombe? Voici, moi, ce que j'ai à dire à mon héritier : Écoutez un peu, mon ami; vous ne savez donc pas la nouvelle? On a reçu de César une lettre ornée de laurier, annonçant une grande défaite des Germains. Déjà la cendre refroidie est enlevée des autels; déjà Césonie fait suspendre les trophées d'armes aux portes des temples; déjà elle loue les habits de guerre des rois, les casaques jaunes, les chars et les géants gaulois, Moi donc, qui veux remercier le ciel d'une si brillante affaire, je fais offrande aux dieux et au génie du général de cent paires de gladiateurs. Qui m'en empêcherait? Osez un peu. Malheur à vous, si vous ne feignez d'applaudir ! En outre, je fais au menu peuple une distribution d'huile ou de pâtés. Vous y opposez-vous? Parlez net. Le domaine, dites-vous, n'est pas déjà trop fertile. Soit; vous n'en voulez pas. Eh bien, si je n'ai plus ni tantes, ni cousines, ni petites-nièces, si la soeur de ma mère est morte sans enfants, et si mon aïeule n'a laissé personne, je me rends à Boville, près de la colline de Virbius; là, je suis sûr de trouver aussitôt un héritier, le premier venu, Manius. Manius, un homme sorti de terre ! Eh! Demandez-moi quel est mon trisaïeul : j'aurai de la peine à le dire; je le dirai pourtant. Mais demandez-moi encore quel était mon quatrième, mon cinquième aïeul, ce sera aussi un homme sorti de terre. Si bien que, grâce à la généalogie, un Manius pourrait bien avoir été à peu près mon grand-oncle. Parce quo vous êtes de plus près mon héritier, est-ce une raison pour me demander le flambeau, tandis que je cours encore? Je suis pour vous Mercure, et je viens à vous la bourse à la main, comme on représente ce dieu. Refusez-vous le présent? voulez-vous vous contenter de ce qui reste? Mais le capital n'est plus le même. Mais c'est pour moi que je l'ai diminué; quant au reste, quel qu'il soit, il est à vous. N'allez pas me demander compte de ce que m'avait légué autrefois Stadius; n'allez pas me parler des avis de parents : « Qu'il faut joindre l'intérêt au principal, que le produit suffit pour la dépense » Que reste-t- il enfin? Ce qui reste! allons, esclave, mets hardiment du gras avec les herbes. Quoi ! Je ne mangerai, moi, les jours de fète, que de l'ortie et un morceau de couenne enfumée, pour qu'un jour un vaurien d'héritier se gorge de foie gras; pour qu'il aille, quand il sera dégoûté de courir après des beautés vulgaires, tenter l'aventure avec une patricienne ! J'aurai, moi, la figure d'un squelette, et lui aura le gros ventre et l'embonpoint d'un sacrificateur ! Vends ton àme à l'intérêt; brocante, remue ciel et terre aux quatre coins du monde; tu auras le pas sur tous les marchands de chair humaine, et nul n'exposera dans ses cages des corps de Cappadociens aussi frais: double ta fortune. La voilà double; la voilà triplée, quadruplée; la voilà décuplée : dites-moi où il faut m'arrêter? c'est le monceau de Chrysippe qui ne finit jamais.

 

NOTES SUR LES SATIRES


SATIRE PREMIERE

ARGUMENT, Ce petit ouvrage est un tableau de la littérature des règnes de Claude et de Néron. Rome présentait alors un spectacle
misérable : aux passions politiques avait succédé la manie du bel esprit; et les descendants de ces républicains si fiers, de ces souverains de nations conquises, étaient devenus des gens de cabinet, de méchants auteurs : ils faisaient de la prose, des petits vers, et pour eux une lecture était un événement; tous voulaient publier, déclamer; l'empereur donnait lui-même l'exemple de ces prétentions ridicules. Quand les lettres ne sont plus que l'affaire de l'amour-propre et de la sottise, que peuvent-elles produire de bon? L'enflure et la trivialité, le néologisme et l'affectation du vieux langage, le mélange des tons et des styles, toutes les aberrations du mauvais goût signalent cette époque de la décadence romaine : la poésie, l'éloquence, la versification, la langue même, se perdaient.
Perse, qui conserve la dignité du caractère romain, ne peut voir sans indignation les jeux pitoyables des enfants de Romulus. Fort de son talent, de ses,études et des principes sévères du stoïcisme, il brave l'opinion et réforme ses jugements; il lutte contre la dépravation générale ; il n'épargne ni la ville, ni la cour, et le prince tout le premier devient l'objet de ses sarcasmes. Cette satire est sous la forme d'un dialogue entre l'auteur et un interlocuteur qui lui représente que c'est un méchant métier que de médire; que le public n'est peut-être pas si coupable, etc. Cet interlocuteur est l'homme de l'opinion, Perse est l'homme de la conscience.
Labéon. On ne sait de ce mauvais poëte que ce qu'en disent Perse et son scoliaste : il se nommait Accius ou plutôt Attius Labéon,
il était auteur d'une détestable traduction de l'Iliade. Perse revient encore deux fois sur lui dans cette satire (v. 50 et. v. 122). Apparemment Néron, dans sa sotte passion pour Troie et tout ce qui s'y rattachait, admirait la traduction de Labéon, et les courtisans diraient comme lui.

Vous ferez votre lecture. Les auteurs du temps sont pleins d'allusions à ces lectures publiques. Sans doute la vanité des auteurs et la sottise des auditeurs contribuaient à les multiplier et à les rendre ridicules; mais il faut remarquer aussi, pour être juste, qu'à une époque où l'imprimerie n'existait pas, elles étaient un mode de publication plus rapide et plus populaire que les manuscrits qui coûtaient fort cher et que les gens sans fortune ne pouvaient guère se procurer. Juvénal fait aussi la description comique de ces lectures, félicite Stace et le remercie en termes vifs de vouloir bien lire au peuple sa Thébaïde.

S'ils n'entendrent pas quelqu'une de ces poésies charmantes. Nous venons de voir le tableau des lectures publiques; voici maintenant celui des déclamations de vers dans un festin. Ce n'était pas ses propres vers qu'on déclamait ainsi le plus souvent, mais ceux de
quelque poète à la mode, ou du temps passé. Les auteurs sont remplis d'allusions à cet usage.

Ou la Phyllis, ou l'Hypsipyle, ou telle autre larmoyante héroïde. Phyllis, fille de Sithon, reine de Thrace, fut enlevée par Démophoon, fils de Thésée ; Hypsipyle, fille de Thoas, roi de Lemnos, fut abandonnée par Jason. Leurs aventures étaient des sujets rebattus que tons les poëtes élégiaques avaient traités, Nous avons encore deux hëroïdes d'Ovide (la 2 et la 6) qui portent les titres Phyllis, Hypsipyle.

Et la pierre du tombeau ne deviendrait pas pour lui plus légère ! Cela tient a une opinion religieuse des anciens, à une formule pieuse par laquelle ils souhaitent aux morts de reposer en paix : sit tibi terra levis. Ce que l'on gravait ainsi sur les tombeaux:
S, T. T, L.

Nous voyons des écoliers, etc. Tout ce passage, depuis le vers 69 jusqu'au vers 95 inclusivement, est la critique ingénieuse et plaisante des prétentions des échappés de l'école. On sait que les Romains commençaient les études par la langue grecque (QUINTILIEN, Instit. oral;, liv. i), C'est à cet usage que fait allusion le nugari solitos graece, « qui versifiaient hier en grec. » Ceci fait allusion aux exercices de rhétorique. Ces exercices étaient des descriptiones.

Les filles du Mimas ont embouché les cors. On croit que ces vers sont de Néron. Quoi qu'il en soit, ces vers faisaient partie d'une pièce sur la mort d'Atys ou de Penthèe, qui furent mis en pièces par les Ménades. La fable dit qu'Egyale, mère de Penthée, rendue furieuse par Bacchus, dont il avait méprisé le culte, le poursuivit avec les femmes thêbaines, et lui coupa la tête, le prenant pour un veau, [Voyez HORACE, Sat., liv. ii, sat. 3 La fable raconte à peu près la même chose d'Atys, l'amant de Cybèle, que cette déesse fit mettre en pièces par les Ménades]. Ces Ménades étaient appelées Mimallones, du mot Mimas, nom d'une montagne de l'Asie Mineure. Evion est le surnom guerrier de Bacchus. On sait que le lynx était consacré à ce dieu, et que le lierre et le thyrse, étaient an nombre de ses attributs, comme la vigne et les raisins.

Non pour la lourde béte qui trouve plaisant que les Grecs portent des sandales. Il paraît que les Romains, ceux qui se prétendaient les vrais Romains, défendaient bravement la toga, le calceus et tout le costume de leurs pères, contre le costume moderne emprunté des Grecs, savoir : le pallium où la laena, les crepidae, etc.

SATIRE DEUXIEME

ARGUMENT. Perse, à l'occasion du jour de naissance de Macrin, son ami, l'entretient de la religion. L'hypocrisie des grands dans leurs prières et leur trafic honteux avec le ciel; l'absurdité des superstitions populaires; l'inconséquence des dévots dans leurs voeux et dans leur vie; les idées misérables des hommes sur la Divinité, qu'ils mesurent à leur hauteur : tels sont les objets qui excitent la verve satirique du poète, Il n'attaque pas seulementles pratiques de quelques particuliers; il flétrit plusieurs des cérémonies du culte public.
On voit qu'il cherche à dégager le sentiment religieux des sottises et des turpitudes dont la faiblesse ou la perversité humaine l'enveloppe et le déshonoré : noble tâche, dont se sont occupés tous les esprits supérieurs, depuis Socrate jusqu'à Molière, et qu'il n'était pas moins difficile d'accomplir sous la tyrannie du peuple d'Athènes et sous le despotisme des empereurs qu'à la cour de Louis XIV !

Marquez ce jour, Macrin, avec la pierre favorable. Ce jour, c'est le jour de naissance de Macrin, comme le prouve le vers qui suit. Il était d'usage parmi les Romains de célébrer le jour de naissance de ses amis par l'envoi de quelques présents, comme chez nous et, comme chez nous encore, les gens instruits se souhaitaient leur fête en s'adressaut les uns aux autres quelque ouvrage. Avec la pierre favorable, autrement,avec la pierre blanche; c'est-à-dire : « Puisse ce jour être heureux pour vous ! » Le blauc a été pris très anciennement pour l'emblème du bonheur, du bien; le noir, pour l'emblème dn malheur,du mal, De là les jours blancs pour dire les jours heureux.

L'or remptace l'argile des Toscans et l'urne modeste des vestales. Ces mots, l'argile des Toscans, ne désignent pas seulement les vases sacrés qui, dans l'origine, étaient de terre étrusque, mais les statues mêmes des dieux qui furent de terre avant d'être d'or,de
bronze, ou de marbre.

Ce que fait Vénus de la poupée que lui consacrent nos jeunes filles. C'était l'usage des Romains, quand ils renonçaient à une profession, quand ils sortaient d'une condition, de consacrer à leurs dieux les instruments de cette profession, les attributs ou les insignes de cette condition. En se mariant, en passant de la condition de fille à celle de femme, les jeunes Romaines consacraient à Vénus les attributs et les jouets de l'enfance, leur poupée. Lactauce, Inslit., liv. ii, ch. 4,13, traitant le méme sujet que traite ici Perse.

La postérité dégoûtante de l'illustre Messala. M. Valérius Corvinus, qui reçut le nom de Messala de la prise de Messana (Messine) dont il avait conduit le siège, fut le chef de la famille Messaline, l'une des plus illustres que Rome ait eues. On compte dans cette famille de grands guerriers, de grands politiques et de grands orateurs; mais, après avoir été honorée par tontes les vertus, elle fut souillée par tous les vices, et le nom de Messala devint aussi célèbre dans la satire qu'il l'avait été dans l'histoire. Un digne parent de cette femme, Cotta Messalinus, s'abrutit par les excès de la débauche; il en portait sur sa figure les traces honteuses; les paupières de ses yeux étaient mangées par tes humeurs, et elles se retournèrent, C'est à ces indignes rejetons du sang le plus illustre que s'appliquent les expressions de Perse.

Et l'orge suffira pour faire agréer ma prière. Far, c'est propicment le grain dont on fait de la.farine et du pain, c'est le blé, l'orge, etc. C'était, avec le sel, l'offrande la plus commune et la plus usitée dans tous les sacrifices.

SATlRE TROISIEME

ARGUMENT. Un gouverneur entre vers midi dans la chambre de son élève, et, le trouvant encore au lit, le tance sur sa paresse et sur ses dérèglements. Le jeune homme, tout malade encore des excès de la veille, s'emporte contre ses valets, il se lève mais, ne voulant rien faire, il s'en prend à sa plume, à l'encre et au papier. Qu'a-t-it besoin d'étudier ? Il a de la naissance et du bien. Le maître le reprend et le sermonne avec les lieux communs d'usage: à la nécessité de renoncer avec l'âge aux niaiseries de l'enfance et de songer à l'avenir, le supplice d'une conscience qui n'est pas tranquille, le besoin indispensable de s'instruire pour bien vivre ! Il faut soigner la santé de l'àme comme celle du corps: or, les dogmes du Portique sont les véritables remèdes de l'âme et sa nourriture la plus convenable : résumé rapide de ces dogmes. En vain la populace et de stupides soldats méprisent la philosophie; ce mépris conduit aux maladies de l'âme et à la mort morale, comme le mépris de la mêdecine et les excès du corps conduisent à la maladie et à la mort physique. Il faut se rappeler que ce sermon satirique a été écrit à l'époque où le stoïcisme était le plus en vogue chez les Romains, et où tous les fils de famille étaient élevés par des maîtres de cette école : Sénèque faisait alors l'éducation de Néron, et il est probable que cet ouvrage n'est que le tableau de'cctte éducation.

A cuver le plus indomptable falerne. Quand le vin bout après la vendauge, il rejette de l'écumc: de là l'expression despumare,
appliquée par les poètes aux buveurs eux-mêmes, qu'ils considèrent comme des tonneaux où le vin fermente. Notre expression française cuver répond très-exactement an despumare des Latins.
— Indomitum estime épithète consacrée dans les poètes latins pour désigner la force des vins les plus généreux.

N'êtes vous pas honteux de vivre comme un Natta? C'est une question entre les commentateurs,de savoir si ce mot Natta est ici le nom propre d'un vaurien célèbre, ou le nom générique de, toute la classe des polissons qui couraient les rues de Rome. Natta était le surnom de la famille des Pinariens , et ce surnom se trouve gravé sûr les médailles de cette famille. Sa signification figurée désignait les hommes les plus vils et les plus corrompus.

De ne pas manquer le col étroit de la bouteille. Perse parait ici faire allusion au jeu dont on trouve la description dans des vers
d'Ovide (de Nuce,v. 87) Casaubon et Koenig paraissent croire qu'il s'agit ici d'un jeu plus compliqué, de ce jeu qui se joue avec des billes sur une espèce de damier où il y a un engrenage et des blouses, etc.; mais il n'est pas probable que ce jeu compliqué fût celui de l'enfance chez les vanciens; il s'agit vraisemblablement d'un jeu beaucoup plus simple, comme le jeu que décrit Ovide.

Vous avez nn but, et vous voulez l'atteindre. C'était un des premiers principes de la morale stoïcienne, de donner un but à ses actions, d'assigner une direction à la vie.

Quelle est la règle sur l'argent; ce qu'on peut honnêtement, etc. Les stoïciens romains, Panétius, Sénèque, Perse, Antonin, tout eu reconnaissant que les biens de la fortune ne sont pas les premiers des biens, avaient senti qu'ils ont leur importance, et vivaient établi des règles sages sur la recherche et la possession des richesses et sur leurs divers usages. Voyez l'excellente êpître de Sénèque sur ce sujets . Perse parait adopter entièrement sa doctrine modérée. Il ne proscrit point, comme Zenon et comme Èpictète, l'argent et les richesses; il reconnaît que ce sont de fort bonnes choses, pourvu que l'on en sache l'usage, et qu'on les recherche avec modération !
Perse d'ailleurs était chevalier romain; il était de cette classe de citoyens qui avalent été chargés longtemps de la perception, du dépôt et du maniement des deniers publies, et qui savaient mieux apprécier que les antres hommes l'utilité et l'importance, pour les relations du commerce et les jouissances de la société, de l'établissement de la monnaie, de la banque, du crédit et du change. Il me parait certain qu'ici, comme dans Horace, "asper" désigne l'empreinte, l'effigie de la monnaie.

Ce que vous devez de sacrifices à la patrie et à vos proches.
C'était la doctrine des stoïciens, qu'on doit préférer à soi-même sa famille et ses amis, la patrie à ses amis et à sa famille, l'humanité à sa patrie, l'univers à l'humanité, etc.

SATIRE QUATRIÈME

ARGUMENT. L'étude de la sagesse est nécessaire pour la carrière politique comme pour la vie privée. Mais de jeunes téméraires prennent en main le timon de l'État, sans avoir rien des qualités nécessaires pour se conduire eux-mêmes. C'est que, lorsque la fortune et la flatterie nous font illusion, nous nous persuadons, tacitement que nous nous élevons au-dessus de l'humanité, alors même que les passions les plus viles nous ravalent au-dessous. Ce qui distingue véritablement un homme d'un homme, c'est la culture de l'esprit, ce sont les vertus et le caractère.
Ces principes sont développés par Socrate s'adressant à Alcibiade, au moment où il va gouverner la république. Il est évident que, dans la personne d'Alcibiade, Perse a voulu représenter ici le jeune empereur Néron. Il révèle et son ignorance, et sa folle présomption, et ses débauches, et ses courses nocturnes; tous les vices qui précédèrent et qui annoncèrent, dès les premières années de son règne, les fureurs qui le signalèrent dans la suite.

L'intelligence et l'expérience des affaires vous sont apparemment, etc. Perse, qui, met ce sermon dans la bouche d'un Soctate, se sert de l'ironie socratique. Tous ces vers jusqu'au quatorzième inclusivement doivent être lus ironiquement. —"Ante pilos". Sorte de phrase proverbiale chez les Latins, comme chez nous .

Quel est le souverain bien, selon vous ? C'est là le principe d'après lequel le stoïcisme juge les hommes; c'est là sa mesure certaine pour apprécier ce qu'ils valent; car c'est d'après leurs idées sur les vrais biens qu'ils agissent et qu'ils pensent. Le souverain bien pour les stoïciens, c'était la vertu; pour les épicuriens, le bonheur. Mais ce bonheur, les vrais disciples d'Èpicure ne le cherchaient que dans les plaisirs honnêtes, dans les jouissances de l'àme ou de l'esprit. Au contraire, les faux disciples d'Èpicure, qui alors remplissaient Rome, dénaturaient la doctrine du maître, et abusaient scandaleusement de ses principes pour se permettre les voluptés les plus grossières, pour se plonger tout entiers dans de vils et sales plaisirs, et pour croupir dans l'inertie la plus honteuse.

Quoi!'.personne ne veut descendre en soi-même. L'auteur passe ainsi à la seconde partie de son sermon satirique. Dans la première, il a montré au jeune présotnptueux qu'il n'a rien de ce qu'il faut pour faire un homme d'État, qu'il est aussi ignorant sur les vrais biens que le dernier homme du peuple. Dans la seconde, il va lui montrer que ses moeurs valent son instruction, quelles le rabaissent au-dessous de l'humanité. La satire devient d'autant plus vive qu'elle a le ton de l'impartialité et de la modération.; cela n'a rien de personnel ni de méchant en apparence; c'est une plainte de philosophe sur les maux de l'humanité

SAT1RE CINQUIÈME

ARGUMENT. La première partie de cette satire, qui sert d'introduction à la seconde, est un dialogue entre Perse et Cornutus, le maître donne à son élève sur son art des conseils pleins de goût; l'élève paie à son maître le tribut de sa reconnaissance pour les soins qu'il a reçus de lui. Il avoue que c'est à l'école de Cornutus qu'il a puisé les leçons de la sagesse, et que c'est dans son intimité qu'il trouve le bonheur, il invite tous les Romains à venir apprendre à la même école la science de la vie.
La seconde partie de l'ouvrage est l'exposé de la thèse des stoïciens sur la liberté. Il faut être libre ; mais qu'est-ce que la liberté? Le vulgaire n'y voit que le titre et les droits de citoyen, les droits politiques : il oublie la liberté morale, qui, seule, est la liberté véritable, être maître de ses passions, c'est là être libre; l'empire de la raison, c'est là, l'empire de la liberté; et cet empire de la raison, le stoïcisme veut qu'il s'étende aux moindres actes de la vie. physique et morale, tout ignorant est insensé, esclave; et quiconque est soumis à une passion est soumis à une servitude aussi dure que l'esclave tremblant sous 1e maître le plus impérieux. Pour le prouver, il passe en revue les principales passions qui nous tyrannisent :1 l'Avarice, qui nous commande de nous enrichir à force de travaux et à travers mille dangers; 2 la Mollesse, qui nous retient dans les plaisirs; 3 l'Amour, qui nous asservit aux caprices d'une maîtresse,et nous ramène malgré nous à ses pieds; 4 l'Ambition, qui nous rend les courtisans d'une multitude, et nous fait rechercher une vaine réputation ; 5 la Superstition, qui nous remplit de sottes terreurs et nous prescrit des pratiques ridicules.
Le poète s'arrête, en songeant que c'est peine inutile de prêcher la vraie liberté à ce peuple de stupides soldats qui méprisent la philosophie.

Les brouillards de l'Hèlicon, expressions consacrées chez les anciens pour désigner les sottises poétiques ou philosophiques des méchants auteurs.

Pour donner, comme on dit du poids à la fumée.- "Dare pondus fame" était une phrase fort usitée et en quelque sorte proverbiale.

Un astre, j'en suis sûr, quel astre ? je l'ignore, nous réunit tous deux sous ta même influence. Toute cette doctrine de l'influence des astres sur les destinées humaines, qui reparait dans Perse plusieurs fois, appartient originairement à l'école de Pythagore. C'est d'elle qu'elle avait passé à toute la secte italique, et enfin au stoïcisme.

Finem animo certum; la première question que se faisait la philosophie morale était de savoir quel était le but qu'on doit se proposer dans la vie, les stoïciens croyaient avoir trouvé ce but véritable vers lequel on doit toujours tendre. Perse y revint sans cesse dans ses satires, il s'étonne qu'il y ait des hommes qui vivent sans but.

Ne suis-je pas aussi libre que Brulus? Hyperbole d'un homme qui n'entend absolument rien à la liberté, qui se croit l'égal ou des Brutus ou des Catons, parce qu'il a droit de cité parce qu'il a les privilèges de la populace et la libre disposition de sou corps.

La rubrique de Masurius.- Ce sont les lois civiles qu'il désigne par cette périphrase. Masurius était un jurisconsulte célèbre sous le règne de Tibère. Il était du pays des Sabins et laissa trois livres sur le Droit civil avait fait école en législation.

La raison s'y oppose, etc.—La raison, c'est là le grand mot du stoïcisme, et généralement de la philosophie ancienne.

Dans la crainte des étrivières. — "Scutica" était une espèce de fouet en lanières de cuir, moins terrible cependant que le "flagellum"; témoin le vers d'Horace {Sat., sat. i, liv. 3, v. 119):
Ne scutica dignum horribilil sectere flagello.
Les maîtres avaient toujours sous la main, dans leurs appartements, des fouets et des étrivières pour corriger au besoin les esclaves.
Les, moralistes anciens sont remplis de comparaisons semblables entre l'esclavage du corps et celui de l'àme. L'expression "domini" pour désigner nos passions, nos tyrans intérieurs, est consacrée chez les Latins.

Il faut te réduire... à creuser du doigt la salière. Ceci est une sorte de phrase proverbiale fort usitée chez les Latins, pour dire vivre de rien, vivre comme les malheureux.

Aller, ivre et le flambeau éteint à la main, chanter à la porte de Chrysis, et s'y morfondre! Ceci peint les moeurs des amoureux chez les anciens. Comme, chez eux, la ville n'était point éclairée la nuit, c'est le flambeau à la main qu'ils allaient chanter leur martyre à la porte de leurs maîtresses, après avoir passé la journée à boire.

Et quand viennent les jours d'Hèrode. Ceci n'est pas très clair; on ne sait pas bien précisément ce qu'il faut entendre par les jours d'Hêrode: ce qu'il y a de certain, c'est que l'auteur fait allusion ici aux superstitions judaïques, alors fort répandues dans Rome. Il paraîtrait que des sectes nombreuses qui divisaient alors la Jtulée, celle des hérodiens ou des pharisiens était la plus nombreuse. Cette secte célébiait la fête d'Hlérode, parce que ce prince lui avait été très favorable et s'en était déclaré le chef; au contraire, la secte des chrétiens, qu'Hérode avait cherché à étouffer, avait ces fêtes en horreur. Cet Hèrode dont il s'agit ici est probablement Hérode, fils d'Antipater, nommé roi de Judée par les Romains après la conquête de l'Orient, et que ses partisans surnommèrent le GRAND. Il y eut deux autres rois de Judée du méme nom, tous deux fils du précédent : Hèrode Archélaus, que ses cruautés firent chasser par ses peuples, et Hèrode Antipas, qui régna avec et après l'autre, conjointement avec son plus jeune frère, nommé Philippe et Agrippa. Jésus-Christ naquit sous Hêrodc le Grand, et périt sous ses fils : ces derniers occupaient encore le trône vers l'époque où Perse a écrit.

SATIRE SIXIEME

L'ART d'user des biens de la fortune était encore généralement ignoré des Romains au siècle de Néron : les uns, colorant du nom de frugalité antique leur sordide avarice, se refusaient le nécessaire, à eux et à leurs esclaves, condamnaient l'introduction dans Rome des ails de la Grèce, et gémissaient des progrès, de l'économie domestiqué : les autres sacrifiaient un riche patrimoine pour flatter les caprices de la tyrannie impériale et populaire; quelques-uns avalent la sottise de ne travailler que pour des héritiers avides ou dissipateurs; un bon nombre, plus insensés encore, aimaient le gain pour le gain, amassant, par toute sorte de moyens, sans fin ni mesure.
A tant de vices la philosophie opposait ces préceptes d'une modération vertueuse : «Il faut que les intérêts suffisent à l'entretien personnel; il faut prendre sur le capital pour secourir le malheur et l'amitié : préférer à soi-même des vauriens d'héritiers, et mettre de côté pour le temps où l'on ne sera plus, c'est sottise et duperie; enfin, amasser pour amasser, c'est se condamner à des fatigues continuelles et à des sentiments inhumains. » Cette doctiine, qu'on retrouve à peu près la même dans les meilleurs moralistes latins, Perse a su la faire valoir par les tours d'un style original et varié: tantôt il s'entretient avec son ami Césius Bassus, renfermé comme lui dans les travaux sérieux, et se félicite d'être au-dessus du besoin, et, par suite, exempt des soucis de la passion d'acquérir; tantôt il prend à partie sou héritier, lui montrant le malheur d'avoir de la fortune sous un gouverment despotique, et se riant des préjugés de la naissance, des droits de suecession, de l'usage des testaments; partout il s'élève contre les pratiques d'une basse cupidité, et particulièrement contre les rigueurs envers les esclaves.

Il faut voir, citoyens, de Luna le beau port. Vieux vers d'Ennius, qui revient à la mémoire de Perse, et qu'il cite, non pas comme un modèle de poésie, mais comme une autorité. Notre poète, qui aime l'élégance, se moquerait de cette simplicité si nue, si la naïveté ne lui plaisait pas autant que le beau langage.

A côté des images des grands dieux qui devaient protéger sa poupe. On sculptait à la poupe et à côté du gouvernail les images de quelque divinité puissante qui donnait son nom au bâtiment et le couvrait de sa protection; dans le naufrage, on embrassait ces images comme un préservatif, comme la plus sûre planche de salut. C'est à ces circonstances que le poëté fait allusion.

On a reçu de César une lettre ornée de laurier. C'était l'usage, chez les Romains, que le général qui avait à annoncer au sénat une victoire, le fit par une lettre ornée de laurier (Pline, Hist. nal., liv. xxxv, ch. dernier). Ces sortes de lettres étaient appelées "laureatae"

Annonçant une grande défaite des Germains. Cette grande défaite des Germains n'était qu'une fable. Caligulà imagina cette fausse nouvelle pour se faire décerner les honneurs du triomphe : le sénat fut assez lâche pour accorderces honneurs, et le peuple romain pour les célébrer. L'auteur satirique se moque de tonte cette comédie.

Est-ce une raison pour me demander le flambeau, tandis que je cours encore? Il y avait chez les anciens, parmi les différentes espèces de courses de leurs jeux, la course au flambeau. On courait avec un flambeau à la main, aussi longtemps que l'on pouvait ; quand on ne pouvait pas aller plus loin, on passait le flambeau à un autre coureur qui vous remplaçait et le passait lui-môme à un autre; ainsi de suite. Les poètes et les orateurs ont souvent tiré de là des images, et comparé à ces courses successives la succession des générations humaines, le passage des hommes sur la terre, où ils semblent courir et se passer le flambeau de la vie.

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